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Homme Fang anée 1880
Homme Fang anée 1880

Les "Fang" un peuple venu d’ailleurs aux origines similaires à celles des juifs entourées de fantasmes. de P. Neu, à Charles Seligman en passant par Pierre Alexandre, Du Challu, Ferdinand Grébert et bien d'autres...

En 1887, un certain P. Neu, missionnaire catholique, sonnait l’alarme : « il y a une vingtaine d'années, on ignorait tout de cette tribu. Aujourd'hui ils ont envahi le Gabon de toute part. Mais d'où viennent-ils ? Pourquoi ont-ils quitté en masse leur pays d'origine ? Quelle force inconnue les pousse vers l'Océan ? ». Vingt ans plus tard, dans une savante étude sur le totémisme chez les Fang, le père Trilles n’hésitait pas à peindre les « randonnées fantastiques » de « hordes lancées en avant ».

Elles n'ont pas disparu dans nombre d'écrits plus récents, à prétention scientifique, qui continuent d'alimenter le mythe fang. Si pour Charles Seligman (1930) les migrations fang « raided across Africa to the West coast », Pierre Alexandre et J. Binet (1958) dans le chapitre traitant de la répartition régionale des groupes humains du Gabon, ne peuvent s'empêcher de titrer le passage consacré aux Fang, « Les envahisseurs, ou Pahouins proprement dits ». Plus récemment, Annie Merlet parle encore de la « rapidité de progression de cette multitude entreprenante et guerrière ».

Entre-temps, la vulgate missionnaire avait chargé l'archétype d'une dimension nouvelle, en comparant les migrations fang à l'exode d'un peuple élu. Selon le P. Neu, « Les Pahouins voyagent comme ont voyagé les Patriarches, n'ayant pas de provisions préparées d'avance et ne trouvant pas d'hôtellerie sur leur chemin, ils s'arrêtent, dressent leur tentes : les hommes chassent, les femmes ensemencent la terre et, après la récolte, on se remet en route... » (1887). Plus loin, l'avancée des Fang rappelle le départ vers la terre promise, l'Egypte étant remplacée par la menace musulmane : « Mais quelles sont les raisons qui poussent ou attirent ces tribus vers la mer [...] à arracher des peuplades entières au sol qu'ont habité leurs pères et à les lancer à travers d'immenses espaces dans des pays inconnus où ils ne savent s'ils pourront demeurer, où ils seront forcés de lutter contre les indigènes, et où ils risquent d'être exterminés?

Ferdinand Grébert (1922), pasteur évangélique posté dans la station de Talagouga, remarquait que chez les Fang « comme chez les Juifs, on apprend aux enfants la généalogie de leur père et de la tribu », concluant sur une grande envolée selon laquelle les Fang « n'ont cessé d'envahir le Congo français [...] comme une grande marée, par vagues successives, ils ont couvert tout le pays [...] c'est à plusieurs millions qu'on évalue leur nombre».

Francs, Egyptiens, ou Hamites ?

La distortion judéo-chrétienne du mythe fang dut son succès au fait qu’elle résonna immédiatement avec un imaginaire spécifiquement laïc et colonial de la race élue. En 1863, Paul du Chaillu, après s’être complaisamment attardé sur le cannibalisme des Fang, remarquait déjà que ceux-ci « paraissaient être le peuple le plus remarquable que j'eusse encore vu dans cette partie reculée de l'Afrique. D'une couleur plus claire qu'aucune des tribus de la côte, forts, grands, bien bâtis, ils témoignent d'une grande
activité ; leur regard me semblait aussi plus intelligent que celui des Africains qui n'ont pas eu encore de rapports avec les blancs ». Dans la vulgate coloniale, les Fang représentèrent très vite l’idéal du noble sauvage : « Energiques, ardents, belliqueux, doués à la fois de courage et d'habileté, ce sont des ennemis terribles ».

En 1863, Fleuriot de Langle parlait d'hommes « industrieux et énergiques », une vingtaine d'année plus tard, le marquis de Compiègne affirmait : « C'est une belle race que la race pahouine ; les hommes sont grands, bien faits, et ont un air d'énergie indomptable ». Edouard Trézenem reprit le cliché en 1950 : « population forte, guerrière ». Une monographie de 1908 dévoila l'arrière-plan racial de ce jugement : « doués de toutes les qualités mais aussi de tous les défauts des races primitives ». Il s'agissait donc de situer les Fang par rapport aux peuples voisins, mais aussi par rapport aux Européens. C'est ce que fit ouvertement V. Largeau dans son Encyclopédie pahouine de 1901 : « Les Pahouins sont des êtres atrocement sauvages [...] mais, comme nous venons de le démonter, ils sont actifs et intelligents. Nous avons observé, dans la race noire, les mêmes graduations que dans la race blanche, avec des divisions plus nombreuses ; à notre avis les Pahouins sont intellectuellement de ceux qui occupent le sommet de l'échelle. Ce qui les rend surtout dignes d'intérêt, c'est qu'ils constituent une race vierge qui, à l'exception de l'extrême avant-garde, n'a pas encore été gâtée, démoralisée par le contact des Blancs ». Sur l’échelle coloniale des races, les Fang occupaient donc le degré supérieur, le degré inférieur étant dévolu aux populations côtières supposées corrompues par le contact avec le commerce atlantique. Le cliché reposait néanmoins sur une tension constante entre les défauts et les qualités supposés des Fang, où les traits physiques et culturels ne signalaient que les symptômes de l'avancement ou l’abaissement moral du groupe.

Dès le 19ème siècle, explorateurs et anthropologues envisagèrent l'hypothèse, conforme à la vulgate scientifique de l'époque, selon laquelle les Fang seraient des Blancs venus de la région des Grands Lacs, voire du Haut-Nil. Du Chaillu affirma dès 1863 que « ces Fans appartiennent, comme je le supposais, à une famille qui diffère de la race nègre du littoral, aussi bien que des autres tribus que j'avais déjà vues ». Un certain Louis Franc, jouant sur les homonymies entre Fang et « Francs », n'hésita pas à démontrer dans un pamphlet de 1905 qu'ils seraient d'anciens Germains partis en Afrique. La littérature missionnaire consacra cette fable grâce à l’amalgame des Fang avec un peuple chrétien ayant migré d'un vieux noyau « hamite » égypto-éthiopien au nord-est (allusion aux vieux centres copte et monophysite), sous la pression de l'idolâtrie musulmane. Le représentant le plus fameux de cette hypothèse hamitique à la gabonaise fut le père Henri Trilles, missionnaire spiritain nommé au Gabon en 1893. Dans une longue étude de 653 pages sur le totémisme fang publiée en 1912 dans la très sérieuse collection scientifique Anthropos, Trilles compara la langue et les totems fang à ceux des anciens Egyptiens et conclut à une origine probable des Fang dans les plateaux du Bahrel-Gazal.

Une fois encore, les textes de plusieurs administrateurs européens, convertis en anthropologues amateurs, vinrent à la rescousse des fantasmes missionnaires en laïcisant la légende « hamitique » fang. S'appuyant sur l’avancée des Fang dans la métallurgie du fer et sur une interprétation littérale de leurs légendes d'origine, ces analyses suggérèrent leur provenance septentrionale : « leurs légendes [disent qu’] il y a bien longtemps, ils ont quitté un pays lointain situé au Nord-est, peuplé d'une faune sauvage très différente de celle du Gabon ; ce pays était le Megale Mebur, où les Fan vivaient à côté d'hommes blancs possédant des chevaux et qui leur ont appris à travailler le fer ». Charles
Seligman, dans Races in Africa, avança une idée concurrente, mais de nature semblable. Les Fang seraient une branche des Fulani (Peuls), ils auraient en tous cas un ascendant « hamitique » prononcé. On retrouve l'hypothèse dans l'ouvrage des anthropologues H. Bauman et D. Westermann qui veulent, en 1948, que les Fang, comme plusieurs autres tribus de la région, soient un rameau de la civilisation soudanaise.

La vitalité de ces images reposa moins sur leur capacité à frapper l'imagination scientifique et populaire, qu'à l'incertitude qui les nimbait. C'est précisément parce la bibliothèque coloniale présentait ces idées non comme un ensemble de faits établis scientifiquement, mais comme des théories incertaines et séduisantes, que ce répertoire put répondre aux multiples usages et fantasmes de l’opinion publique et scientifique d'alors. Fermement démontrées, donc réduites à de sèches descriptions, les migrations fang n'auraient pu offrir la versatilité, la capacité de rêve, que le statut apparemment plus fragile d'« hypothèses » ouvrait aux imaginations. C'est la raison pour laquelle P. Alexandre et J. Binet, réfutant à la fin des années 1950 quelques-unes des spéculations sur l'origine fulani des Fang, ou se faisant un devoir d'expliquer qu'« encore que [nous avons] parlé de colonnes, il ne faut pas se représenter ces migrations comme l'exode des enfants d'Israël à travers le désert », loin de mettre un frein au succès de ces images, leur donnèrent sans doute une nouvelle caution scientifique. De plus, l'effort scientifique typique du 19e siècle qui tendait à interpréter les faits à l'aide d'images ethnocentriques, contribua à ces malentendus. Tessman, par exemple, explique le sens du désespoir (olun) chez les Fang par opposition au sens du repentir chez les Egyptiens, et compare chez chacun « la prétendue manducation du cœur ». Ce passage montre comment, par transformation d’une comparaison en filiation littérale, le mythe de l'origine égyptienne des Fang put se développer avec le secours involontaire de solides textes
anthropologiques.

Le succès fulgurant de ce répertoire ne fut pas seulement stylistique et littéraire. Il provenait en large part du projet qui le sous-tendait : annexer les Fang comme possibles collaborateurs de l'entreprise de colonisation du Gabon : « Je crois qu'ils ont à un plus haut degré que tout autre tribu cette force vitale qui rend un peuple grossier apte à recevoir une civilisation étrangère » imagina du Chaillu en 1875, une dizaine d'années avant que Brazza ne plaida pour privilégier leur recrutement dans les rangs des auxiliaires de la pacification. Ce projet contribua à doter les Fang d’attributs « ethniques » instrumentalisés par la politique indigène des Français. La patrilinéarité fang, fut fréquemment citée comme se rapprochant des structures parentales « civilisées » européennes. Les longues récitations des généalogies claniques et familiales semblaient doter les Fang d'une aura de peuples savants, quasi-bibliques, et qui bien que migrants, restaient ancrés dans un système parental stable, à grande profondeur historique. D'où la comparaison implicite avec la civilisation européenne, se distinguant des cultures « sauvages » par sa capacité à mobiliser des savoirs systématiques (philosophiques, historiques et techniques) et accumulés dans le temps. Plus surprenant, l'anarchie fang, c’est-dire l'absence d'autorité centrale, fut opposée de manière positive aux royautés esclavagistes et décadentes de la côte. D'ailleurs, le fait que les Fangs ne possédaient pas d'institutions centralisées fut compensé dans l'imaginaire colonial par l’avancée migratoire qui les dotait d'un élément de cohésion dynamique. Certains auteurs y décelèrent les symptômes d’un état social avancé, l’existence d’une véritable « nation fang »

sources : les exlorateurs occidentaux au congo français

image : homme fang année 1880

Pour des générations futures

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Tag(s) : #Ekang, #Fang - Beti, #Afrique, #Gabon, #Guinée Equatoriale, #Cameroun
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